Les Brigands / Friedrich Schiller

traduction : Jörn Cambreleng

Crédits photo : Nicolas Simonin

  • Mise en scène : Paul Desveaux
  • Avec : Serge Biavan, Ninon Brétécher, Fabrice Cals, Michel Chaigneau, Romain Cottard, Alexandre Delawarde, Michel Fau, Christophe Giordano, Jean-Claude Jay, Xavier Kuentz, Alain Macé, Adrien Michaux, Arnaud Pfeiffer, Fabrice Pierre
  • Assistante à la mise en scène : Irène Afker
  • Chorégraphie : Yano Iatridès
  • Musique : Vincent Artaud
  • Création lumière : Nicolas Simonin
  • Scénographie : Chantal de la Coste Messelière
  • Costumes : Marie Sartoux
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Coproduction
  • Lʼhéliotrope
  • Nouveau Théâtre / CDN de Besançon et Franche Comté
  • Lʼhippodrome / Scène Nationale de Douai
  • Théâtre National de Marseille / La Criée
  • Le Trident / Scène Nationale de Cherbourg

Jamais la loi nʼa formé de grand homme, quand la liberté a fait éclore des colosses et enfanté des prodiges.

Karl Moor, Les Brigands I,2

Dans sa correspondance avec Goethe, Schiller raconte la difficulté de choisir entre la philosophie et le théâtre. Il voit pourtant dans le théâtre la capacité quʼà lʼart de pouvoir former des idées non pas nées de la seule raison, mais aussi de lʼexpérience, et plus particulièrement dʼune expérience sensible.
La grande force de Schiller est de provoquer, dans son théâtre, la philosophie, de mélanger les genres, de confronter des concepts intemporels à lʼexpérience du plateau. Ces concepts, tels que le rapport à Dieu ou à lʼau-delà, à la liberté, se retrouvent face au temps de lʼaction théâtrale, éprouvés par lʼaction elle-même.
Et la beauté des Brigands est de ne pas laisser en repos la construction raisonnable de la pensée. Cʼest une expérience pour le spectateur, comme pour les acteurs, car dans le temps instantané du théâtre, elle remet en question lʼélaboration dʼidées préconçues.
Karl Moor et Franz Moor représentent deux figures dʼune même expérience: Franz qui recherche la confrontation à Dieu en insultant le ciel, et Karl, les pieds dans la terre, qui découvre peu à peu sa place dans lʼinfiniment grand du monde.
Il sʼagit, pour chacun dʼeux, de sʼaffranchir dʼun cadre social, moral ou religieux, à la recherche dʼune forme de liberté.
Il existe une certaine beauté chez Franz Moor, comme quand on lit Sade et quʼil éprouve notre esprit moral par des actions violentes.Amalia, unique femme de la pièce et figure emblématique dʼun être humain tourmenté, bousculé par le monde. Elle me rappelle ces sculptures de Giacometti, perdues dans lʼinconnu.
Ce nʼest pas autour dʼune idée forte et révolutionnaire que se crée ce groupe de brigands, mais autour dʼun ressentiment, la sensation dʼavoir été mis au ban de la société. Cʼest dans le tourbillon du désespoir que ces jeunes gens prennent les armes comme seul et unique moyen dʼexpression.
Si nous plongeons les gens dans une misère financière ou culturelle, il y a 90% de chance quʼils se réveillent dans la violence.
Par essence, répondre à lʼinjustice par les armes risque dʼenterrer la cause. Le premier meurtre au nom dʼune idée altère déjà lʼidée.
Pour les brigands, la guerre agît comme un révélateur de lʼêtre humain où les liens sociaux et moraux ne fonctionnent plus comme des barrières ou des masques pour lʼâme.
Schiller, en tant quʼhéritier de lʼAufklärung, tente dʼamener lʼêtre humain à sʼassumer en tant quʼêtre humain. Peut-être seul, dans tous les cas, face à lʼinconnu de son état.
Avec Les Brigands, nous assistons à lʼéclosion dʼidées, aux actions quʼelles engendrent, à la mort des protagonistes qui les ont vues naître ou portées. Mais une idée ne meurt pas. Elle est là, elle existe, inaltérable, ayant engagé sa marche révolutionnaire dans lʼesprit de chacun. Cʼest là le véritable état subversif de la pensée.

Paul Desveaux